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Numéro
06 Souheila Yacoub, Interview, Dune 2, Denis Villeneuve, Zendaya

Rencontre avec Souheila Yacoub, héroïne de Dune 2 et nouvel espoir du cinéma mondial

Cinéma

Du cinéma au théâtre, des drames aux comédies, la jeune actrice trentenaire Souheila Yacoub prête son immense talent à tous les personnages. À l’affiche du deuxième volet de Dune, actuellement au cinéma, elle sera aussi cette année dans deux films français très attendus, Planète B, ainsi que Les Femmes au balcon de Noémie Merlant, où elle incarne une sexcameuse. Rencontre. 

Portrait de Souheila Yacoub © Arno Lam.

Elle partage l’affiche avec Timothée Chalamet et Zendaya dans le deuxième volet de la saga Dune. Mais Souheila Yacoub a encore un peu de mal à y croire. La veille de notre rencontre, elle a vu l’un de ses amis, l’acteur Stefan Crepon – ensemble, ils ont tourné la réjouissante comédie de Cédric Kahn, Making of. Je lui ai parlé de mon problème de légitimité. Il a répondu que j’avais le droit d’être là ! C’est vrai, cela fait un moment que je travaille sur des projets passionnants. Mais il n’y a pas tant de films qui m’ont révélée. Je construis les choses étape par étape.Dune, deuxième partie - actuellement au cinéma - devrait faire passer l’actrice née en Suisse dans une nouvelle dimension. Elle y joue une guerrière du peuple habitant la planète Dune, les Fremen. “Une superproduction, c’est un monde différent. Il y a des centaines de techniciens, des doublures, des gens que tu rencontres pour la première fois à la fête de fin de tournage. Mais sur le plateau, cela reste le même métier. Surtout qu’on a travaillé en lumière naturelle.” 

 

L'interview de l'actrice Souheila Yacoub, à l'affiche du film Dune, deuxième partie 

 

Pour en arriver là, celle que ses proches appellent “Sou” raconte un miracle : un appel direct du réalisateur, sans passer par un casting. “Je l’ai eu une première fois en Zoom, il m’a dit une chose dont je ne me souviens pas car j’étais en black-out – j’avais Denis Villeneuve depuis Los Angeles face à moi. [Rires.] Au deuxième rendez-vous, il explique un peu gêné qu’il a un rôle pour moi, pas le premier, mais il me l’offre si je suis d’accord. J’avais envie d’exploser de rire. Même pour une phrase, je l’aurais fait. J’ai été pro et je lui ai promis un retour dans la semaine.” Le tournage a eu lieu avec une équipe créative de “vrais gentils”, dit-elle. Une valeur ajoutée par les temps qui courent, et dans la vie de Souheila Yacoub

La bande-annonce du film Dune 2 (2024).

"Quand j’ai arrêté la gym, nous avons intenté un procès pour des maltraitances alimentaires et du harcèlement moral." Soulheila Yacoub

 

Celle qui est devenue actrice après ses 20 ans n’a pas rêvé, petite fille, de brûler les planches. Elle regardait ailleurs, bloquée. “J’ai commencé la gymnastique rythmique à l’âge de 4 ans, et, très vite, j’ai été embrigadée, avec des coachs assez durs. On vous fait croire qu’il n’y a que cela au monde. À l’âge de 12 ans, j’ai été prise en équipe nationale junior suisse, j’ai participé à mon premier championnat d’Europe avant d’enchaîner jusqu’à mes 20 ans.” Le déclic a lieu à un moment paradoxal, juste avant les jeux Olympiques de Londres 2012. La Suisse, dernière nation qualifiée au concours par équipes, est finalement écartée au profit du pays hôte. “Je me souviens de l’annonce des coachs, qui avaient les yeux gonflés de pleurs. Moi, ça m’a libérée, comme un appel d’air. J’ai pris mes affaires avec deux autres gymnastes et je suis partie. Je ne suis jamais revenue.” 

 

Tout perdre, ce serait donc tout gagner ? Dans certaines circonstances, oui. Souheila Yacoub raconte à quel point le sport qu’elle pratiquait et les adultes qui l’entouraient ne lui ont pas fait du bien. “Quand j’ai arrêté la gym, nous avons intenté un procès pour des maltraitances alimentaires et du harcèlement moral. Avant cela, j’étais passée par plusieurs phases. J’ai été celle qui se révoltait, mais les coachs ont serré la vis et procédé à un lavage de cerveau, une torture psychique. Je suis devenue une petite chose, je pleurais tout le temps. Les trois dernières années, je n’avais plus d’émotions, comme un robot qui se faisait insulter. J’ai été anorexique et boulimique. Voilà pourquoi j’ai pleuré de bonheur quand nous avons été disqualifiées.” 

 

Il fallait une rupture. Elle s’incarne dans un départ pour Paris, après un passage dans une école de danse genevoise et un flash pour des cours... de théâtre. “Le fait d’avoir été très prisonnière de mes émotions pendant des années m’a donné ce besoin.” “Sou” obtient une bourse pour étudier au Cours Florent et débarque un dimanche soir à Châtelet. “Je me souviens, j’avais un sac à dos de voyage, il y avait les lumières de la ville, je me suis rendu compte que je faisais ce que je voulais : prendre la rue à gauche, ne pas rentrer tout de suite... Si j’avais envie d’un verre d’alcool et de manger un burger, personne n’allait me taper ou m’insulter ensuite.” L’acclimatation à la liberté la rend heureuse, même si Souheila Yacoub ne vient pas du même milieu que la plupart de ses camarades du prestigieux Cours Florent : “On ne roulait pas sur l’or dans ma famille, contrairement à ce que les gens pensent quand je dis que je viens de Suisse.” [Rires]. 

  • Pio Marmaï et Souheila Yacoub dans le film En corps (2021) © Emmanuelle Jacobson-Roques – CQMM.

  • Souheila Yacoub et Marion Barbeau dans le film En corps (2021) © Emmanuelle Jacobson-Roques – CQMM.

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“En arrivant en France, je voulais jouer Juliette, des trucs un peu fous comme Petra von Kant, Eva Perón... Mais on m’a dit : ‘Tu dois faire des textes sur l’identité.’” - Souheila Yacoub. 

 

Dix ans plus tard, le bilan est là. La trentenaire a traversé des mondes de cinéma différents, de Philippe Garrel (Le Sel des larmes, 2020) à Cédric Klapisch (En corps, 2022) en passant par Gaspar Noé (Climax, 2018). Elle a joué dans d’excellentes séries (Les Sauvages, No Man’s Land), déployant un jeu intense mais précis, technique et fluide. Le dramaturge Wajdi Mouawad ne s’y est pas trompé, qui lui a offert un rôle dans sa pièce Tous des oiseaux (2017-2019) alors qu’elle venait à peine de réussir le concours d’entrée au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, le graal des jeunes acteurs français. Elle se fait remarquer. “Wajdi Mouawad a cette cruauté des mots. Dans la pièce, il y a un monologue sur ce que veut dire être une femme arabe aujourd’hui, alors que je ne me suis jamais prise pour une Arabe dans ma vie. C’était presque dix minutes, en hurlant face au public, d’une réflexion sur la beauté, sur le fait d’être quelqu’un de sexuel. Cela mélangeait plein de choses qui me touchaient à ce moment-là. Je me traitais de pute, je pleurais, je ressentais une musicalité incroyable. C’était intense. Mon plus beau rôle.” 

 

À rebours d’une époque identitaire, Souheila Yacoub met en avant la diversité de ses origines, flamande par sa mère, tunisienne par son père, suisse de naissance, parisienne d’adoption, polyglotte. Si elle ne parle pas l’arabe, elle maîtrise le flamand mais aussi l’allemand, l’anglais, le bulgare depuis ses années de gymnaste... Une drôle de fille, à qui un directeur de casting a dit un jour : “Toi, je ne sais pas où te mettre.” Une force que la France n’a pas forcément vue tout de suite. “La Suisse est un pays récent avec beaucoup d’immigration. On a tous entre deux et quatre passeports. Là-bas j’étais Sou, une jeune femme, point. En arrivant en France, je voulais jouer Juliette, des trucs un peu fous comme Petra von Kant, Eva Perón... Mais on m’a dit : ‘Tu dois faire des textes sur l’identité.’ Je n’ai pas compris.” 

  • Souheila Yacoub dans le film De bas étages (2021) © Shanna Besson.

  • Souheila Yacoub et Soufiane Guerrab dans le film De bas étages (2021) © Shanna Besson.

  • Souheila Yacoub et Soufiane Guerrab dans le film De bas étages (2021) © Shanna Besson.

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“Je me suis rendu compte que, pour certains, j’étais une Arabe avant d’être une actrice. Lors d’un casting, le réalisateur m’a demandé : ‘Tu ne peux pas être un tout petit peu plus arabe ?'” - Souheila Yacoub. 

 

En pleine découverte de l’art dramatique, elle se sent proche d’autres imaginaires, comme le théâtre à vif de Joël Pommerat, dont elle adore La Réunification des deux Corées. Je me suis rendu compte que, pour certains, j’étais une Arabe avant d’être une actrice. Lors d’un casting, un réalisateur m’a demandé : ‘Tu ne peux pas être un tout petit peu plus arabe ?’ Je n’avais pas envie, même si être arabe fait partie de moi et que j’en suis fière. Je choisis des rôles parce qu’ils sont proches de mes émotions, pas parce que je dois incarner la diversité.” 

 

Cette année, en plus de Dune, deuxième partie, Souheila Yacoub joue dans deux films attendus de réalisatrices, Planète B d’Aude Léa Rapin, avec Adèle Exarchopoulos, et Les Femmes au balcon de l’actrice-réalisatrice Noémie Merlant, avec qui elle partage l’affiche et incarne une sexcameuse. On pourrait bien voir Souheila Yacoub monter les marches du prochain Festival de Cannes, ce qui pourrait aider à régler définitivement ses problèmes de légitimité. Elle, en tout cas, sait pourquoi elle a voulu devenir actrice. “J’adore la technicité de la voix, la respiration quand on aborde un texte. Au théâtre, les alexandrins, c’est mon dada. Il y a quelque chose dans le souffle, le fait d’aller au bout d’une phrase… C’est comme une mélodie.” 

 

Dune, deuxième partie (2024) de Denis Villeneuve, avec Souheila Yacoub, Zendaya et Timothée Chalamet, actuellement au cinéma.